Je déclenche le chrono, je suis sous le pont Verrazano et cours
le marathon de New York. Je n’arrive pas à y croire, tellement incroyable.
J’essaye de me caler tout de suite à l’allure cible de 4’33 mais je me rends
compte que ma montre n’arrive pas à déterminer la vitesse à laquelle je cours.
Je ne peux pas me fier à mon cardio car nous sommes en montée. Je décide de
continuer à la sensation, on verra bien.
La traversée du pont se termine et je suis bien en jambes,
je me rends compte que les personnes passées au-dessus du pont ne prennent pas
le même chemin que nous, atypique comme départ. Je sais que j’ai déjà passé une
des deux grosses difficultés (les fameux ponts) de la journée.
Nous sommes sur une rocade pendant quelques centaines de
mètres, ce n’est toujours plat mais j’ai hâte de découvrir l’ambiance de feu
qui nous ait promise (entre un et deux millions
de personnes sont attendues). Je pense avoir un peu de retard sur mon timing.
Nous rentrons maintenant dans Brooklyn avec ces premiers encouragements. On en
prend tout de suite plein les oreilles, je tente de ne pas trop m’emballer et
de rentrer dans ma course.
Du 5 au 10ème
: ralentir et s’imprégner de l’ambiance
Passage au 5ème en 21’46 : une minute d’avance,
beaucoup trop vite. Je m’en veux car j’ai toujours respecté les allures lors
des séances longues et un défaut de GPS me fait partir trop vite. Je sais à
quel point je peux payer cette minute vers la fin du marathon. Je ralentis le
rythme de suite, nous entrons dans Bay Ridge Avenue en plein Brooklyn.
Les New-Yorkais sont partout sur le bord de la route.
Pancartes, musique, encouragements, « allez la France » dès qu’ils
remarquent que je suis Français. J’essaye de profiter un maximum. On m’avait
prévenu, les ambiances américaines sont vraiment incroyables. Nous continuons
toujours sur des faux plats montants ou descendants. Je me demande si ce sera
le cas tout le parcours… Mais le cardio réagit bien en augmentant et baissant
très facilement. Nous remontons la 3ème puis 4ème avenue, les départs différés font qu’il n’y a aucune
bousculade, tout est fluide.
Du 10 au
15ème : se caler enfin sur l’allure
Je franchis le tapis du 10ème kilomètre en 44:41
(22:55/5km). J’ai un peu trop ralenti mais ce n’est pas ce qui m’inquiète. Je
n’arrive pas à rentrer totalement dans ma bulle, je sais que j’ai besoin de
cela, rentrer dans un état second. Nous
continuons toujours dans Brooklyn, chaque virage annonce des ambiances
différentes. La population, les pancartes,
les styles musicaux : tout change d’un coin à l’autre du « borough ».
Je suis calé sur le même rythme qu’un coureur au short un peu trop bas, pas
très classe mais cela me fait sourire.
Le passage dans Lafayette Avenue confirme mes inquiétudes,
rien ne sera plat. Paris-Versailles aura été un bon entrainement pour ce
marathon. Les supporters sont de plus en plus présents, les enfants sur le bord
de la route tentent d’obtenir des « High five » au passage des
coureurs.
Du 15 au
20ème : totalement dans ma course
Je suis surpris de passer déjà au 15ème kilomètre,
le temps passe si vite ! J’ai réussi à être dans l’allure voulue
(22:51/5km). Je continue de bien
m’hydrater avec la boisson isotonique que j’ai prise. Je suis rentré dans ma course, plus besoin de
regarder cette fichue montre, j’arrive à gérer mon allure lors des montées et
descentes.
Nous passons dans Williamsburg qui est le quartier juif de
Brooklyn, l’ambiance redescend d’un cran. Je suis impressionné par ce mélange
multiculturel, Brooklyn sera mon « borough » préféré de NYC. On dit
souvent que c’est dans Brooklyn, le Queens, le Bronx et Harlem où l’on découvre
le vrai New York, moi en tout cas, j’en prends plein les yeux et les oreilles.
Du 20 au
25ème : du plaisir à l’état pur
Nous sommes dans le quartier Nord de Brooklyn, les
encouragements viennent de partout. Les gens distribuent aux marathoniens des
ravitaillements maison, de l’eau. On sent qu’ils ont envie de devenir acteur de
cette course. Moment insolite, je vois une policière danser sur
« ABC » des Jackson Five, so hype, so American, j’adore ce moment, le
genre de chose que l’on ne voit pas en France.
Le passage au semi se fait au Pulaski bridge en 01:35:18. Je
me sens totalement bien, je suis dans MA course. Je bats au passage mon
« vieux » record sur semi de 01h40 qui n’avait plus lieu d’être (je
l’avais déjà amélioré lors des séances longues). Le temps passe si vite dans ce
marathon, première fois que je ressens cette sensation lors de cette épreuve.
La traversée du Queens se fait brièvement, je suis bien et
sens autour de moi les premières difficultés pour les autres concurrents. Je
suis surpris d’arriver déjà sur le Queensboro, nous passons d’un brouhaha à un
silence absolu, tellement étrange. La montée du pont est assez sévère. Il faut maintenir
le rythme mais ma montre reperd le fil de la course. Je suis avec une dame avec
qui nous nous relayons pendant toute la montée du pont, je double énormément.
Les gens sont en souffrance, ça marche alors que nous sommes loin de la ligne
d’arrivée. Le parcours fait d’énormes dégâts…
Du 25 au
30ème : maintenir le cap et profiter de cette ambiance
Le passage au 25ème kilomètre se fait aux
environs du milieu du pont, je constate au chrono que je n’ai perdu que 29s
(23:14/5km) lors de la montée. J’étais à l’aveugle depuis quelques minutes. Je
ne m’inquiète pas du tout, je suis encore frais. Je vois au loin la fin du
pont, je sais que l’arrivée sur Manhattan et sa 1ère Avenue est un
moment fort de la course. A la sortie du pont, nous prenons un virage à gauche,
et nous y sommes.
Que de monde derrières les barrières de sécurité ! Il y
a au moins 5 ou 6 rangées de personnes des deux cotés de la route. Le passage
du silence au bruit en devient presque perturbant, je n’arrive pas y croire.
Quel engouement !
J’en profite pour ouvrir mon premier gel puisque j’ai fini
depuis quelques kilomètres ma boisson isotonique. Je prends au passage un verre
d’eau pour m’hydrater et un second pour m’asperger les jambes. J’évite de
regarder au loin les 8 km de faux plat montants en ligne droite, je me
concentre sur les personnes devant moi. Je sens que ce léger dénivelé commence
à me faire puiser dans les réserves. Pour l’instant, ça tient et je prends un
plaisir fou…
Du 30 au
35ème : s’accrocher un
maximum
Dernier pont du parcours, le Willis Bridge |
Je suis toujours sur la 1ère Avenue au passage du
30ème kilomètre, je n’ai presque pas perdu de temps (23:07/5km)
mais je sens que les ischio sont raides. Je continue d’asperger un maximum mes
cuisses à chaque ravitaillement.
Le Willis Bridge, pourtant bien moins long que les deux
ponts précédents, me paraît assez difficile. Je rentre en gestion, je ne prends
pas le mur cette fois-ci mais je sens que je dois gérer mon allure. L’ambiance
dans le Bronx redescend un peu. Une petite succession de virages, de montées et
descentes m’oblige à relancer. Je ne regarde plus du tout ma montre mais je
sens que je suis plus autour des 4’45/km. Un rapide calcul dans ma tête me
laisse imaginer un sub 3h20, je sens que les 3h15 ne seront pas possible
aujourd’hui, pas avec ce départ un poil rapide et ce dénivelé.
Nous redescendons dans Harlem via le dernier pont du
parcours, une pancarte « Last damn bridge » me fait bien rigoler… Je
décide de ne pas prendre mon second gel comme prévu initialement. Le premier
m’a un peu retourné le ventre, je sens qu’il vaut mieux m’abstenir pour le
moment.
Du 35 au 40ème : Ne renonce jamais
Dans le dur... |
Je suis sur la 5ème Avenue, j’ai peur d’avoir une
crampe à la cuisse gauche, chaque montée et chaque descente font crier mes ischio.
Je suis en train d’haïr ce parcours sinueux. Mon allure baisse légèrement vers
les 5’/km.
L’ambiance reprend son envol à l’approche de Central Park, je
m’accroche au regard des gens. Je passe le 37ème kilomètre, toujours
en montée et … une crampe me prend sur la cuisse droite. Pas possible, je
m’attendais à l’autre jambe mais pas celle-ci. Je suis scotché sur place. Je
revis en un instant le marathon de Paris. Je marche un ou deux mètres
mais elle ne veut pas passer. Je suis sur le coté droit de la route et j’entends
les « You can do it », « Come on »… Je ne saurais dire
pourquoi mais je décide à ce moment-là de me retourner, je me baisse et profite
du moment pour finalement prendre mon second gel. Un quart de seconde et tout
rebascule, je me relève et repart. J’ai perdu dans l’histoire une petite
minute.
Maintenant, je ne suis plus qu’au mental. Je sais que la
crampe peut revenir à chaque instant. Mais je ne peux pas lâcher, je sais que
je suis suivi en live par pas mal de monde sur le site de l’organisation, je ne
veux pas les décevoir. J’arrive maintenant dans Central Park en économisant mes
dernières forces, je ne regarde plus du tout le chrono. Je ne suis pas le seul
à avoir ralenti. Les montées et les descentes se succèdent, je garde le sourire,
le moment est trop beau. Je sais que je ne lâcherai pas… pas cette fois-ci.
Du 40ème à
la fin : lève les yeux et profite
Je passe le 40ème en 3:09:01, j’ai pris plus de 28’
pour faire les 5 derniers kilomètres. Je me rends compte que je ne serai pas en
dessous des 3h20. Tant pis, rien de bien méchant. Je profite de chaque instant,
j’adore fixer le regard des supporters, ca me redonne de l’énergie. Je parcoure
les derniers mètres que j’ai reconnu la veille, nous prenons un virage à
droite qui nous amène vers la 59ème Avenue et le rond-point du
Columbus Circle. Il y a tellement de monde, c’est incroyable.
Dernier virage à droite, nous y sommes ! Il reste à
peine 200 mètres, je vois les tribunes et la ligne d’arrivée. Je franchis la
ligne et stop le chrono.
L’après marathon
Je ne sais pas quel temps j’ai fait. Je marche mécaniquement
vers l’endroit de la remise de médaille, je suis ailleurs. Je regarde alors ma
montre 03:22:01, record de plus de 34’ : c’est beau sur ce
parcours ! Je ne suis pas d’habitude attaché aux médailles mais je suis
tellement content quand la bénévole me met autour du cou cette dernière.
Tellement fier d’avoir résisté !
S’en suit une série de photos, puis la remise d’une première
« couverture de survie » et d’un sac de ravitaillement qui me paraît
tellement lourd en ce moment vue ma fatigue.
Je sors de Central Park et récupère le magnifique poncho en polaire de
l’organisation. Aucun doute, à New York, on sait chouchouter ses marathoniens…
Il est d’ailleurs marrant de se balader le Dimanche et le Lundi dans New York
avec la médaille, on est félicité par tout le monde (police, touristes,
serveurs au restaurant,…). Je ne me verrai pas faire de même à Paris.
J’en profite maintenant pour remercier la famille, amis, le
team RunABloc, copains du club qui m’ont suivi en live pendant le marathon. Ca
m’a fait vraiment plaisir de lire tous vos messages après la course. Un dernier
merci au coach JC pour cette préparation et ses conseils qui m’ont permis de prendre
confiance en mes capacités sur cette distance. Je sais qu’il me reste encore
beaucoup à apprendre et j’ai déjà hâte de vivre de futurs préparations à ses côtés…
Et le dernier mot, je le réserve pour Madame que je félicite pour son splendide
premier marathon, elle obtient le même temps (4h31) que moi lors de mon premier
marathon avec une très belle gestion de course.
Superbe récit et un grand bravo à toi pour cette belle performance.
RépondreSupprimerMerci Rohnny, j'ai déja hate d'être en 2016 pour un prochain marathon...
SupprimerÇa sera un de mes objectifs 2016 et ton super récit n'a fait que me conforter dans mon choix!En espérant que je le vive aussi intensément que toi ��
RépondreSupprimerMerci Laurent, tu vas vivre un grand moment là-bas!!! Ce sera ton premier marathon alors?
SupprimerWahou, génial à lire !! Top top ce récit.
RépondreSupprimerTu as couru un superbe marathon et tu as pris un max de plaisir, c'est extra.
Merci Greg. Ca restera un super souvenir. J'ai hate de pouvoir refaire un "marathon majors" prochainement...
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